« On pourrait penser que vous adaptez vos réponses aux questions… » Ce dimanche 3 septembre au soir, les deux juges d’instruction en charge de l’affaire Maëlys ne cachent plus leur agacement face à Nordahl L. Voilà plusieurs heures que leur interrogatoire du suspect tourne au jeu d’esquive. Les magistrates ont le sentiment que cet homme de 34 ans, invité du mariage à Pont-de-Beauvoisin (Isère) lors duquel la fillette a disparu le 27 août, livre un récit incohérent de la nuit des faits. Qu’il est impliqué dans l’enlèvement et qu’il ne dit pas tout.
« Non, je n’adapte pas, j’essaie de me rappeler des souvenirs de cette soirée au maximum », rétorque Nordahl L., jamais déstabilisé. Cette audition, que L’Express a pu consulter, est la dernière en date du suspect. Elle intervient à un moment clé de l’enquête.
L’ancien militaire -un adepte de boxe thaï reconverti dans l’élevage de chiens et la manutention- est dans le viseur des enquêteurs depuis plusieurs jours. Il avait été placé en garde à vue avant d’être relâché, faute de charges. Sans jamais dissiper les soupçons à son endroit.
Cette fois, les juges d’instruction ont un élément crucial dans leur manche: une infime trace génétique de Maëlys, 8 ans, qu’il ne connaissait pas avant la soirée du mariage, a été relevée à l’avant de son Audi A3. Un véhicule qu’il a pourtant méthodiquement nettoyé le lendemain. Cette découverte n’ébranle pas la défense du suspect. « Quand j’étais à table et qu’elle a vu la photo de mes chiens sur mon téléphone, j’ai parlé avec cette petite. C’était la première fois que je la voyais », se remémore-t-il devant les juges, alors qu’il avait, dans un premier temps, minimisé ses contacts avec la fillette.
L’homme prétend que cette scène s’est déroulée en présence de la mère de Maëlys. Ce qu’elle conteste. Au contraire, cette dernière redoute qu’il ne soit parvenu à nouer une relation de confiance avec sa fille durant la fête, en profitant de « l’amour des animaux » de l’enfant. Elle avait été troublée par la familiarité avec laquelle Maëlys désignait le suspect: « mon copain » ou « tonton ».
Selon sa version, Nordahl recroise ensuite la brunette sur le parking de la salle des fêtes avec d’autres enfants. Là, la jeune fille insiste pour vérifier s’il a emmené ses bergers malinois dans son coffre. Elle est, poursuit-il, accompagnée d’un « petit blond avec un ballon » dont il ignore le prénom. « J’avais ouvert côté passager. Je leur ai montré [que non], le petit blond est monté et Maëlys aussi, ça a duré 5-6 secondes. »
Pourtant, l’ADN de la brunette a été retrouvé, mélangé au sien, au niveau des phares côté conducteur…
« Est-ce que vous avez touché Maëlys? », demande l’une des juges. –
« Je ne me rappelle pas l’avoir touchée, peut-être en l’aidant à descendre de la voiture car c’est une trois-portes. Je ne me rappelle pas l’avoir prise dans les bras », répond l’intéressé.
Pour Nordahl L., la seule explication est qu’il y a eu banal transfert d’ADN lorsqu’il lui a pris la main. Mais les enquêteurs sont dubitatifs. D’abord parce qu’ils n’ont identifié aucun garçon « blond » susceptible d’avoir vécu cette scène, ni relevé aucun autre ADN
Ensuite parce qu’un témoin raconte n’avoir vu que Maëlys sur le parking. Ce dernier dit par ailleurs avoir surpris une injonction étrange du suspect à la fillette. Alors qu’ils regagnaient la salle, Nordahl L. aurait dit à Maëlys: « Moi je passe par là, mais tu passes de l’autre côté. »
En clair, il lui demande de rentrer par la porte principale quand lui emprunte la porte vitrée attenante. « C’était l’entrée du DJ et il y avait des fils », justifie-t-il. Imperturbable, Nordahl a réponse à tout. Pourquoi omet-il de relater cet épisode lors de sa première garde à vue? « C’est une bêtise de ma part, admet-il. Sur le coup, pour moi, entendre qu’une petite a été enlevée et m’avait parlé, et que je l’avais fait monter dans ma voiture sans la forcer, ça m’a perturbé. » Pourquoi donne-t-il l’impression de livrer un récit au compte-gouttes? « Il y avait beaucoup d’alcool, le fait de reparler, ça fait des flashs. »
L’heure de la disparition de Maëlys n’a pu être établie avec précision, faute de témoignages concordants dans la confusion de la nuit.
Mais les gendarmes s’interrogent sur deux déplacements de Nordahl, révélés par l’étude d’un second téléphone dont il a curieusement résilié l’abonnement le surlendemain. Le premier, le suspect le situe entre 00h30 et 1h. Selon ses déclarations, il rentre chez sa mère à Domessin (Savoie), à 10 minutes en voiture de la salle des fêtes, pour changer son short blanc taché « de vin rouge et de vomi ». Ce vêtement, qui n’a jamais été retrouvé, il l’aurait jeté dans un « conteneur poubelle ».
Le second déplacement se déroule en milieu de nuit. Vers 3 heures du matin, le DJ coupe la musique et annonce au micro que la fillette est recherchée par ses parents. L’inquiétude monte. Mais l’ex-militaire est aux abonnés absents. Un de ses amis se souvient l’avoir vu pour la dernière fois entrer aux toilettes au début des recherches. Plus jamais ensuite.
Selon ce proche, Nordhal L. prétexte vouloir « vomir ». « Je ne comprends pas pourquoi il dit ça. On est sorti en même temps. Je n’ai pas vomi du tout », conteste le suspect, expliquant être allé « simplement pisser ». C’est parole contre parole. Son absence est en tout cas remarquée. Vers 3h15, le marié demande à ce qu’il soit contacté. Mais les trois appels sont redirigés aussitôt vers son répondeur.
Dix minutes plus tard, le téléphone de Nordahl active une borne hors du secteur du mariage. « Je suis allé à Saint-Albin chercher des produits stupéfiants », finit-il par lâcher. Il est toutefois incapable d’identifier ce mystérieux dealer auprès de qui il se serait fourni. A 3h55, son téléphone est localisé à nouveau dans la zone de la salle des fêtes.
Après avoir expliqué qu’il utilisait « du savon de Marseille », Nordahl L. concède devant les juges l’usage d’un « pschitt à jantes » dans le coffre et sur les tapis avant. Ce produit détergeant a une odeur si puissante qu’il a rendu malades les chiens des gendarmes et étourdi les enquêteurs. Nordahl L., lui, déclare qu’il voulait simplement redonner « une couleur grise » à sa moquette devenue « marron ».
« Il n’est pas habituel de passer un tel détergent? », insiste l’une des juges.
« Non, c’est vraiment parce que j’allais la vendre. Habituellement, je nettoie à l’aspirateur et à la brosse. […] Je ne voulais pas laisser de poils de chiens.
– Pourquoi insistez-vous sur la poignée passager?
– La griffure des ongles, tout simplement. Je ne me rappelle pas avoir insisté. »
Nordhal L. est finalement mis en examen et écroué, sans ajouter un mot. Laissant derrière lui des interrogations persistantes: Détient-il les clés de l’énigme?
Ou bien est-il victime d’une incroyable malchance, avec une succession de circonstances qui jouent contre lui? Alors que les parents de Maëlys viennent officiellement de l’appeler à dire « ce qu’il sait », l’ex-militaire pourrait être réentendu. Contacté, son nouvel avocat Alain Jakubowicz n’a pas souhaité s’exprimer.
Source de l’article : lexpress.fr